4e partie
Jacques est athée, et tant que tel, il a de plus en plus le sentiment d’appartenir à une toute petite minorité. Et il en souffre. Car cette minorité est peut-être en danger. Dans l’histoire, il y a déjà eu de nombreux courants niant l’existence de Dieu ; ils ont tous été persécutés et éliminés par les religieux. En Europe notamment, les peuples n’ont pas toujours été croyants, il y a eu des périodes où l’on avait oublié les divinités, mais le monstre a toujours fini par revenir.
Jacques compte beaucoup de croyants parmi ses proches. Ce sont des croyants – pratiquants ou non –, qui résistent à l’obscurantisme et l’intolérance. Mais pour combien de temps encore ? Qu’adviendra-t-il des générations futures ? Le prosélytisme existe toujours, et certains en secret espèrent de nouvelles guerres de Religion. Au Moyen-Orient, l’État Islamique a bien réussi à rassembler des milliers de soldats provenant de pays divers, de pays pauvres comme de pays riches, pour combattre les mécréants dans le but de faire naître une nouvelle civilisation religieuse.
En France, un des rares pays au monde qui restait jusque-là profondément laïque, Jacques se sent de plus en plus menacé. Depuis les attentats contre Charlie Hebdo et les attentats au Bataclan, il voit des fous de Dieu partout. Son rejet de la religion est de plus en plus fort, mais son isolement dans la société ne cesse de grandir. Il sait qu’il a raison contre tous. Mais il sait aussi qu’il a perdu.
Il a peur. Au point de parler de moins en moins, et surtout jamais de religion. Il se méfie de tout le monde, et préfère être prudent. Les gens qu’ils côtoient semblent gentils, bienveillants, attentionnés, ils semblent ouverts d’esprit, mais que pensent-ils vraiment dans leur for intérieur ? Et que penseraient-ils de Jacques s’il leur confessait son rejet de Dieu ?
La raison va perdre le combat contre les croyances. Les religieux auront la peau des athées. Jacques finira sa vie dans la peur, tournant parfois à la paranoïa. Et ses enfants, élevés dans le monde idéal des pensées, des libertés, du respect de l’autre, seront condamnés à se convertir. Ses petits-enfants seront enfants de chœur le dimanche matin, ils iront au catéchisme et feront leur communion. Un jour peut-être, l’un d’entre eux aura le courage de dire non et reprendra le combat douloureux de son ancêtre.
L'histoire sacrée
L’homme créa dieu
Un dieu, deux dieux, à qui mieux mieux
L’homme avait de l’intelligence
Mais encore trop peu de connaissances.
Il espérait, entre autres, se distinguer
De ses voisins si détestés
Tout en créant l’union sacrée
De son peuple divisé.
Mais il sut à peine se séparer
Des suidés, carnassiers et bovidés,
Des oiseaux sauvages et autres bêtes
Trop idiotes pour penser la fête.
L’homme, si fier, créa la prière
Pour implorer avec manières.
Il créa un savoir-faire
À quatre pattes, les mains en l’air,
Allier si bien le geste et le verbe
Pour ne rien perdre de la superbe.
Pour maîtriser la pluie et la faim
Pour éloigner la peur des défunts
Il a fait don et soumission
Envers sa propre création,
Oubliant même les origines
Avec le temps des pensées divines.
L’homme, ce croyant, inventa les textes
Non sans avoir déjà créé des prétextes.
Il écrivit ce qu’il crût, sur l’instant, beau et utile
Pour élever le peuple inculte et docile
Gravé dans le marbre ou dans une tête fertile
La plume tenue d’une main si agile
Une histoire, une musique, une magie
Mêlées de faits et de mythologies.
Il ordonna pour toujours des rites et des cultes
Contrôlés par des influences occultes
Qui imposent la loi pour l’éternité
Et interdisent la moindre pensée.
L’homme, ce bâtisseur, créa les lieux de culte
Pour la prière des enfants-adultes
Les célébrations en réunion
Entre gens de même communion.
Célébrer l’esprit et le corps
Parler des morts et de la mort
Pour les vivants, donner les codes
Les bonnes manières, les bonnes méthodes
Les attitudes, la bonne tenue
Les bons objets, les bons menus
Sinon l’impie sera banni
Soumis à tyrannie et avanie.
L’homme, ce destructeur, inventa la guerre de religion
Au nom de l’union dans la conversion,
Refusant toutes différences
Tuant l’esprit avec élégance
Les troupeaux au son de l’appeau
Jetteront les corps impurs dans les eaux.
Les croyants d’une autre providence,
Les athées et mécréants en déviance
Tous devront abjurer
Et perdre leur liberté
Pour implorer les textes sacrés
Des érudits d’un temps reculé.
L’homme, ce sage, inventa la paix entre les religions
Simple leurre ou belle trahison ?
Tel un semeur de venin qui monnaie l’antidote
Le zélé aux ardeurs dévotes
Sème les graines de récits mythiques
Pour la survie des pensées ataviques,
Une fois en place l’arsenal
Il échange le pouvoir contre le coup fatal.
Faut-il être dupe pour ne pas voir
Le sournois qui donne à croire
Misant sur la culpabilité
Pour mieux faire vivre l’absurdité.