Ces images provoquèrent chez William un choc terrible qui ne tarda pas à devenir un traumatisme profond. Il se voyait, tel un assassin, avec le couteau dans les mains. Combien de temps l’avait-il tenu ? Une minute ? Deux ? Peut-être davantage ? Était-il rentré dans la peau du tueur pendant ce temps-là ? Toutes les images qui inondaient le web et la TV montraient clairement que le porteur du couteau était William ! Et ces images perdureraient pour l’éternité. Dans toutes les têtes, à commencer par celle de William.
Il finit par s’endormir. Mais dans son rêve, il se voyait avec le couteau à la main, il voyait la lame rouge de sang, du sang clair et du sang sombre, ses empreintes étaient présentes sur le couteau. Les images le dévoraient. Les gens le confondaient avec le tueur, et il était jeté en prison, malgré ses cris d’innocence. Puis à mesure que la nuit avançait, le rêve évolua, et William se mit finalement dans la peau du tueur : désormais il tenait le couteau et frappait avec.
Le lendemain matin, les photos de William tenant le couteau sur le Tower Bridge faisaient la couverture de toute la presse, avec en titre « le tueur du Tower Bridge ». Les photos ne disaient pas ce qui s’était passé pour en arriver là. Chacun pouvait imaginer ce qu’il voulait.
Mais qu’avait-il fait ? Il se demandait s’il dormait encore ou s’il était réveillé. Il ne discernait plus le réel et le rêve. Il était entré dans l’Histoire du Tower Bridge, le plus fameux des ponts britanniques. Son pont et lui étaient désormais indissociables à travers les photos diffusées dans la presse, il était devenu l’homme du pont tenant un couteau taché de sang. Son visage hagard serait associé pour toujours au couteau à la lame rouge.
Pour William, son Tower Bridge était devenu le pont entre le réel et le rêve. Et lui se trouvait bloqué au milieu du pont, incapable de trouver la bonne direction pour rejoindre la réalité. Était-il le tueur ? Était-il un témoin ? Était-il un passant ? Était-il un adorateur du pont ? Était-il l’enfant qui regardait le pont s’ouvrir au passage des bateaux ? Était-il l’enfant qui regardait ses parents avec des yeux pétillants ? Et d’où venaient les dégâts dans son appartement ? Avait-il aussi brisé son radiateur pour inonder l’immeuble ?
Il sombrait dans la folie. Il se trouvait au sommet du pont qui séparait le réel et le rêve, désormais indissociables. Il aurait aimé se jeter pour tomber et se réveiller – ou mourir – mais il en était incapable. Il déambulait comme un homme ivre, attendant le passage hypothétique d’un bateau et l’ouverture du tablier pour se glisser dans un navire, et partir ailleurs, loin des rêves et de la réalité.
La troisième voie
À l’heure où s’éveillent les pensées
Il peine à ranimer sa vue
Pour enfin savoir discerner
Le rêve et le vrai confondus
Bloqué au milieu de ce pont
Entre le réel et le songe
Il ne voit la bonne direction
Pour échapper aux mensonges
Il ambule comme un être ivre
Hasardant son pas dans l’idée
De se glisser dans un navire
À l’ouverture du tablier
Le salut surviendra, qui sait,
D’une autre voie, là quelque part
À côté du rêve et du vrai,
Cachée pour un nouveau départ
De sa folle nuit infinie
A germé dans son jardin
Une route vers une vie
Qu’il emprunte dès ce matin
Entre obscurité et clarté
Il part dans une troisième voie
Vers un monde encore ignoré
Dans sa tête il suit la voix.